Burgo de Osma, Vieille-Castille, hôtel Virrey Palafox, ch. 113. Dormi une ou deux heures malgré le vacarme à cause de la fatigue, mais il nous réveille vite. On attend toujours que ça s’arrête, et cent fois ça s’arrête en effet, mais toujours ça reprend de plus belle, et c’est cette attente toujours déçue qui est le plus dur, exactement comme à Plieux avec le chien Le Coz. N’y tenons plus nous nous levons vers trois heures, avons du mal à sortir de l’hôtel mais trouvons au fond des cuisines une femme très gentille qui nous ouvre une porte et promet de la laisser ouverte. Deux heures d’errances nocturne en spirale à travers la ville, totalement déserte et superbe, notamment aux abords de la cathédrale, décidément l’un des plus beaux ensembles architecturaux d’Europe, surtout quand il est vide. Le vacarme cesse vers cinq heures et laisse derrière lui comme c’est l’usage une plaza Mayor immonde, avec quelques gueulards encore. Rentrons nous coucher, mais j’ai pour ma part beaucoup de mal à m’endormir et me réveille deux ou trois fois malgré le silence revenu. Levé un peu avant huit heures. 08:11:30 ///////// Journal (les mésaventures de la nuit). Déjeuné en bas avec Pierre. Décidément, en Espagne comme en France, les hôtels **** sont à peine ce qu’étaient jadis les *** voire les **, chers à Jérôme Leroy. Ya en el amor del compartido lecho (Borges). Douche. Cirage de chaussures. Quitté l’hôtel Virrey à onze heures, chargé la voiture et été visité la richissime cathédrale, presque aussi grande et somptueuse que celle de Burgos. Je ne comptais pas monter dans la tour, mais, merveille, il y a un ascenseur. Très bonne vue de là-haut sur le château médiéval et peut-être arabe de Borgo de Osma, au point que nous estimons que ce sera suffisante visite. Forte canicule, Pierre va chercher la voiture, je l’attends à l’autre bout du pont. Nous dirigeons vers Berlanga del Duero, qui se distingue par un colossal château aux formes arrondies et à deux couches de murailles, puis gagnons l’ermitage de San Baudelio, que j’adore depuis cinquante ans et qui est encore plus beau que dans mon souvenir. Une femme très gentille se tire très bien de la tâche difficile de régler la circulation, le minuscule ermitage ne pouvant recevoir que cinq ou six personnes à la fois. Nous pensions visiter la cathédrale de Sigüenza et, pour ma part, revoir mon cher Doncel, le saint patron des lecteurs, mais comme l’édifice n’ouvre qu’à quatre heures, nous décidons de faire un grand détour vers Soria. Passons en chemin à Calatañazor, où j’espérais retrouver le château en ruine qui m’avait tant plu il y a quarante ans, et ce n’est pas lui, et le village, qui m’avait plu également, est un peu décevant, d’autant qu’il est passé entre temps “beau village professionnel”. Soria, qui a connu depuis notre dernier passage un développement urbanistique stupéfiant, mais où nous pouvons visiter la magnifique église Santo Domingo. En revanche, nous trouvons fermé, à notre grande déception, le monastère de San Juan de Duero, qui m’est familier, lui aussi, depuis presque un demi-siècle, et où j’ai déjà entraîné Pierre il y a vingt ans. Entre temps, nous avons vu la tête de Machado et une autre statue de lui, et avons eu un échange très civilisé avec un homme du pays qui nous montre le collège où a enseigné le poète, mais nous dit que de sa maison, à quelques kilomètres de la ville, il ne reste rien — c’est du moins ce que nous croyons comprendre à ses profuses et très aimables explications. Nous allons aussi à Numance, qui se trouve fermée le dimanche après-midi, mais que nous voyons assez bien car après tout ce n’est qu’une colline. Il me souvient alors de notre projet de visite à la cathédrale de Sigüenza, dont nous avons peur qu’elle ne soit pas ouverte le lendemain lundi, de sorte que nous partons précipitamment dans cette direction. Nous arrivons dans la ville du Doncel vers six heures du soir, la cathédrale est ouverte et nous pouvons la visiter à loisir, chapelle du Doncel comprise, ainsi que le vaste cloître et toute sorte de grande et petite sacristies et d’autres salles chargées de tapisseries et d’étendards. Ravis de ce succès, nous allons prendre notre chambre au parador, elle n’a ni baignoire ni double porte mais elle donne sur un assez joli coteau. Nous en retenons deux autres pour la suite du voyage. Nous faisons en partie le tour de la forteresse assez suspecte mais plutôt réussie où se tient l’établissement, puis allons voir la maison de mon grand ami le Doncel, ce qui nous vaut la découverte d’un splendide portail roman jusqu’alors inconnu de moi. Nous nous décidons finalement pour une collation vespérale dans la cour même du Parador et elle se déroule très agréablement avec des voisins qui savent parler bas, un maître d’hôtel courtois, et pour ma part une entrecôte. Pierre attend ensuite si longtemps un dessert que nous nous décidons à lever le camp, au grand désespoir du maître d’hôtel qui se confond, les mains jointes, en excuses, en incriminant la cuisine. Acta. 22:40:20 //////// Lu un peu de l’Anthologie Pléiade de la poésie française, deuxième volume (Pierre le premier). Éteint à onze heure.