Sano di Pietro. 1406-1481 Sienne. Vierge à l'Enfant. Virgin and Child.
Quimper Musée des Beaux Arts
LA DÉESSE ? MÈRE OU FEMME ? OU LES DEUX ?
Dans la théologie catholique et orthodoxe Marie n'est pas une déesse, certes, il ne faut pas confondre, mais la Vierge Marie en tant que Mère de Dieu est une représentation symbolique très proche des multiples Déesses Mères, qui dans d'autres traditions philosophiques ou religieuses, tentent de concevoir les mystères de la Vie et de la Fécondité.
la Mère du Christ, la Mère de Dieu ou des Dieux c'est aussi bien, symboliquement parlant, la Mère de toute vie, la Mère-Terre, avant d'être la mère de chaque homme. Un puissant archétype qui traverse toutes les cultures de tous les temps.
Les Vénus paléolithiques et les Déesses-mères néolithiques sont attestées par l'archéologie. La vénération de la Déesse mère, de la fécondité est très immédiatement liée dans l'esprit des hommes au culte de la terre et à la fertilité.
Gaïa, La Terre-Mère est évoquée dans la Théogonie d'Hésiode. Elle donne naissance avec Ouranos à la première génération des Dieux. A ce niveau des divinités primordiales, non anthropomorphiques, la vie peut apparaître sans intervention mâle, par parthénogenèse. Dans certaines versions du mythe Gaïa donne naissance, sans intervention mâle, à Ouranos, qu'elle prend ensuite comme époux.
Cybèle, déesse phrygienne adoptée par les Grecs et les Romains est une déesse mère appelée Magna Mater, Mère des Dieux et symbole aussi de la fertilité de la nature.
Dans la mythologie Grecque Demeter-Ceres est aussi symbolique de la fécondité, de la naissance et des mystères de la vie. Déesse de la Terre elle favorise l'agriculture et notamment celle du blé. Elle est aussi le symbole de la mère éplorée par la perte de sa fille, Perséphone (Proserpine), enlevée par Hades (Pluton). Trois déesses grecques, Héra, Athena et Artémis portaient l'épithète de partheneia, virginale, alors que Héra et Athena eurent plusieurs enfants.
Marie, la mère du Christ est aussi un symbole très proche de la déesse Egyptienne Isis.
L'iconographie d'Isis montre très souvent la déesse assise sur un trône en train d'allaiter le très jeune Horus
Dans l'hindouisme le concept de Shakti, sous des appellations et représentations diverses (Parvati, Laksmi, Durga..) symbolise le principe énergétique féminin, la Mère et la Femme Universelle.
La fonction symbolique n'est aucunement limitée au domaine religieux mais constitue un mode de compréhension beaucoup plus général :
Les mots sont les symboles qui nous permettent de représenter nos idées. Les caractères sont les symboles qui permettent de représenter graphiquement les mots. Le langage est une forme particulière de symbole. Les nombres sont des symboles. Toutes les religions et les philosophies peuvent être envisagées comme des efforts pour découvrir la nature du monde perceptible, le processus de la manifestation de l'existence, et le but de la vie et de la mort. Leur mode d'expression constant est symbolique.
L'Image, l'art de la peinture, dans les religions qui ne sont pas aniconiques, véhicule des symboles puissants et significatifs révélateurs des tendances des sociétés et des sensibles différences culturelles qui existent entre les différentes civilisations.
Il existe en effet des dissimilitudes symboliques très importantes entre les représentations de la Déesse.
Les Déesses Paléolithiques et Néolithiques sont des Déesses-Mères mais aussi des Déesses-Femmes, sexuées.
Les caractères sexuels de la "Vénus de Willendorf" ou de la "Dame aux léopards" sont très manifestes.
Cybèle a un amant, Attis, qu'elle émascule pour se venger de son infidélité.
Dans l'Hindouisme les images de Kâlî, Durgâ, Sarasvatî , Lakshmi, Bhâvanî (« Celle qui donne l'existence ») ou Lajja Gauri (« la dorée modeste ») sont symboliques de la femme, de l'épouse, de la maîtresse, de l'amante, et présentent souvent des caractères sexuels très affirmés.
Dans l'hindouisme le yoni, organe génital féminin est le symbole de l'énergie féminine. Sa représentation est généralement associée à celle du sexe de l'homme, le lingam, symbole de l'énergie masculine. D'où dérive la représentation allégorique du Yin et du Yang dans la civilisation chinoise.
Il faut constater cette évidence : La symbolique chrétienne partage avec les religions sémitiques (judaïsme et islam) un puritanisme très puissant qui jette un voile épais, bien réel et pas seulement allégorique dans l'islam, sur la femme, être sexué.
L'iconographie chrétienne magnifie la mère, mais laisse la femme, et la relation sexuelle, dans l'ombre, ou même la nie et la persécute. Dans le christianisme catholique les femmes emblématiques sont la Vierge, mère de Dieu par l'opération du Saint Esprit, et les Saintes, toutes vierges, ou sinon, comme Marie Madeleine, immensément repentantes d'avoir commis LA Faute.
Dans l'Islam, la femme est une terre de labour, à ménager, à condition qu'elle obéisse à l'homme, comme l'homme se prosterne devant Allah.
Avec le christianisme on est très loin des allégories naturalistes et réalistes des temps paléolithiques et néolithiques. On est très loin des déesses de l'Amour-érotique de la mythologie grecque, et de la symbolique immensément diversifiée mais puissamment sexuelle des hindouismes.
Ces différences trouvent peut-être leur origine dans les deux modalités différentes, et mêmes opposées, d'organisation des sociétés humaines : les sociétés matriarcales et celles patriarcales.
Le christianisme a beaucoup hérité des sociétés sémitiques. Hors ces sociétés ont développé leurs mythes fondateurs à une époque où dominait chez elles le modèle patriarcal caractéristique des sociétés pastorales et nomades. C'est particulièrement le cas du Judaïsme, et plus tard de l'Islam.
Par contre l'Hindouisme s'est construit en modifiant totalement la religion védique, masculine, importée par les envahisseurs indo-européens. Une religion védique caractéristique d'une pensée patriarcale, dominée par des Dieux masculins. Cette modification s'est faite par des emprunts, tout à fait déterminants, considérables mêmes, aux représentations symboliques des civilisations dravidiennes, antérieures aux invasions indo-européennes. Civilisations qui comme celle de l'Indus étaient sédentaires, agricoles, citadines et commerçantes. Le lingam et la yoni sont des symboles dravidiens et absolument pas indo-européens.
L'Antiquité grecque est un exemple de superposition et de coexistence des deux cultures matriarcales et patriarcales.
Les Dieux masculins arrivent avec les envahisseurs indo-européens. Ils supplantent les déesses des temps antérieurs. Zeus est le roi des Dieux, il collectionne les relations adultères et Hera, son épouse, ne peut qu'encolérer. Mais les déesses ne sont pas éliminées pour autant. Elles contestent même un peu, comme Héra (Junon) qui persécute les maîtresses de son époux, et aussi en le trompant un peu (pas trop).
D'ailleurs Zeus, à l'époque où il était poursuivi par son père, a trouvé un refuge temporaire, le temps de grandir, grâce à sa mère, en Crète, civilisation pré-indoeuropéenne sans doute de même type que celle Dravidienne de l'Inde, beaucoup plus favorable à la femme. Et à la femme qui veut préserver son enfant de la domination mâle. Il est vrai que nous, hommes, avons parfois du mal à tolérer l'émancipation de nos fils.
La société antique grecque comme celle romaine élabore donc un art de la peinture et de la sculpture très féministe. Un art dans lequel la Déesse n'est pas seulement la Déesse Mère mais aussi la Déesse-Femme, la Déesse de l'Amour-Erotique (Aphrodite-Venus). Et même la Déesse-Femme saphique, comme Artémis.
Mais cette même société grecque se construit au quotidien sur un mode très paternaliste apporté par les envahisseurs indo-européens. Une société qui est manifestement très différente de celles que l'on aperçoit en Crète Minoenne et en Egypte, où la femme apparaît comme beaucoup plus libre.
La femme grecque et celle romaine, la femme modèle de ces sociétés, c'est la Matrone; c'est à dire l'épouse et la mère, vertueuse, la femme de devoirs. Elle règne sur la maison, les enfants en bas âge, mais ne sort qu'accompagnée d'une esclave. Les jeux érotiques lui sont interdits. C'est ainsi que Lucrèce, violée par Sextus Tarquin, se suicide pour échapper au déshonneur. L'amour conjugal est uniquement destiné à la reproduction, et la vertu -conditionnée- de la femme est garante de la légitimité des enfants. Pour l'amour-érotique il y a les femmes libres et aussi en Grèce les jeunes gens.
La société traditionnelle hindoue s'était construite, bien antérieurement à celle grecque, sur un modèle voisin: en séparant la femme-épouse-mère de la femme-libre-maitresse. Mais avec une différence considérable : Infiniment moins de puritanisme, et sans la réprobation morale qui s'attache dans les milieux sémitiques ou sémitisés à l'acte sexuel et à l'érotisme. Pour la femme libre hindoue, non mariée, son devoir de caste est l'Amour-érotique et il ne s'y attache aucune réprobation. Sa destinée est seulement différente, elle n'est pas honteuse. En remplissant son rôle de femme libre elle obéit à ses devoirs et sa "réincarnation" ne sera pas une régression dans la hiérarchie du vivant, au contraire. Un ouvrage comme le Kama-Sutra, impensable dans un environnement culturel sémitique et indo-européen, en témoigne.
Autrement dit la société hindoue s'est construite, en partie, et s'est maintenue, malgré la très longue occupation islamique ultérieure, à partir d'archétypes et de symboles très anciens, antérieurs au 2è millénaire avant notre ère. Des symboles et des archétypes que l'on aperçoit en Occident quand on étudie les civilisations crétoises et égyptiennes. Des symboles dont on aperçoit la trace évidente dans la Mythologie Grecque. Des symboles qui réapparaissent dans la peinture européenne, en Italie, à la "Renaissance". Sans conflit avec la représentation catholique. Comme le montre Alessandro Botticelli dont toute l'oeuvre associe les deux héritages, païen et chrétien.
Dans ce nouveau symbolisme la Déesse est Femme autant que Mère, et non pas seulement Mère comme dans la symbolique chrétienne, et plus généralement sémitique.
Et la symbolique de la Déesse dans l'art contemporain, celui officiel ? Il n'y a plus de déesse, l'humanité progresse, c'est une évidence.